du vote ne fonctionne plus"
Julia de Funès (03/07/2024)
La majorité présidentielle et la gauche, ainsi que des sportifs et des artistes, ont appelé à "faire barrage" à l'extrême droite. La philosophe, auteur notamment de "Socrate au pays des process" (Flammarion, 2021), y voit un exercice d'exhibition de vertu inefficace.
Où est passé le temps du secret de l'isoloir et de l'enveloppe opaque, c'est ouverte ment que certains affichent publiquement leur intention de vote et leur volonté de faire barrage. Ils sont de plus en plus nombreux ces footballeurs, influenceurs, anciens ministres, artistes, à annoncer la mine grave mais satisfaite qu'ils ne voteront pas pour les extrêmes, et encore moins pour l'extrême droite. Ce sont des gens bien, du bon côté de la vie, et il s'agit d'en faire part à la France entière. On a le sentiment qu'il ne s'agit pas seulement de partager un avis réfléchi (aucune argumentation n'émane de leurs propos), ni d'émettre une opinion personnelle (qui n'intéresse qu'eux-mêmes), mais de se grandir moralement au point de se hisser directeurs de conscience et maîtres dans l'exercice d'exhortation.
Ces prédicateurs de vertu se voient soudainement investis d'une mission: évangéliser la bonne parole. Car penser bien revient à penser comme eux. À entendre leurs prêches, ils perçoivent comme une bravoure personnelle le fait de révéler des secrets de Polichinelle : un
parti extrême serait (oh stupeur!) une menace pour la démocratie! Le RN est entouré d'anciens guards dangereux (ah bon?). Les programmes économiques des extrêmes ruineraient la France (sans rire...). Les régimes communistes ont eu beau causer des millions de morts, l'extrême gauche bénéficie toujours d'une forme d'innocuité morale, ce qui fait de l'extrême droite l'ennemi numéro un contre lequel ils se doivent de lutter héroïquement. Car ce n'est pas sans effet de manches, mais avec affectation que ces bienfaiteurs prennent
des postures de matamores contre ces terribles | oppresseurs. Alors nos combattants en toc ne disent plus << Rassemblement national» mais extrême droite (plus effrayant), postent des vieilles photos compromettantes de Jordan Bardella et ses amis, et rappellent les propos déshonorants de Jean-Marie Le Pen. Mais cette récupération morale reste vaine et inopérante pour trois raisons philosophiques de fond. Vous l'aurez compris, il ne s'agit pas de défendre le RN, mais de montrer pourquoi la moralisation à son sujet ne fonctionne plus.
La première, c'est que le souffle du front an- ti-RN sent le remugle des années 1980 face à Jean-Marie Le Pen. Bien que le RN soit un parti républicain, la nazification de l'extrême droite reste un réflexe, une tentation irrépressible. Je comprends facilité à fouiller dans les poubelles de l'histoire, mais elle est le signe d'une pauvreté, celle de l'esprit incapable de penser le nouveau, l'événement, le présent. Plus le monde devient complexe, plus les esprits pauvres en lucidité mais riches en moralisation se raccrochent aux époques où il y avait d'un côté le mal, de l'autre le bien.
Deuxièmement, c'est ignorer que la moralisation n'a pas d'effet sur les consciences. Si l'on se contentait de voir le bien pour le faire, l'histoire serait plus radieuse, le monde meilleur et l'éducation plus aisée. S'il suffisait de savoir que le populisme peut conduire à des dictatures, que l'identitarisme conduit à une mortification sociale, il y aurait nettement moins de violences, de conflits, d'incompréhensions dans notre pays. Utiliser des arguments moralisateurs pour convaincre du «bon» vote re- vient à se tromper de dispositif. La morale ne
fait pas le vote. Ce sont des passions, des haines, des détestations, des sentiments d'injustice ou à l'inverse des séductions, des charmes, des envies d'en découdre qui font voter jusqu'à faire choisir parfois le pire.
Enfin, c'est oublier une autre vérité philosophique, à savoir que la délibération vient après la décision. Les citoyens ont déjà tous, pour la plupart, choisi leur camp et vont maintenant délibérer durant ces deux prochaines semaines. La délibération, la pesée de motifs de choix, est toujours seconde par rapport à la décision, bien qu'on la place généralement avant. << En nous interrogeant scrupuleusement nous- mêmes, nous verrons qu'il nous arrive de peser des motifs, de délibérer, alors que notre résolution est déjà prise. Une voix intérieure, à peine perceptible, murmure: pourquoi cette délibération? tu en connais l'issue, et tu sais bien ce que tu vas faire », avouait Bergson.
Un acte libre, comme l'est un choix électoral, suppose de se laisser déterminer par sa propre volonté. C'est pourquoi, lorsqu'on est attaché à la liberté démocratique, on respecte la liberté de conscience et de décision. Or les sermonneurs du bien appellent irresponsabilité, bêtise ou ignorance un choix qui n'irait pas dans leur sens. Approuve ce que je te dis d'approuver, car je sais mieux que toi où se situe le bien» semble être leur credo aussi prétentieux, intolérant, qu'inopérant. Rappelons- leur que la rationalisation du bien n'influe pas sur une conviction intime déjà choisie, et que la moralisation des choix politiques outrepasse le respect de la liberté de conscience de chacun, dont le vote reste un des derniers gardiens.
Присоединяйтесь к ОК, чтобы посмотреть больше фото, видео и найти новых друзей.
Нет комментариев